Présentation : Simon Raket

Simon Raket est né il y a quarante deux ans à Bruxelles.

Après une jeunesse hip-hop et tumultueuse, il sera formé par Frédéric Dussenne aux Conservatoires royaux d’art dramatique de Bruxelles et de Mons, dont il sortira en 1998 avec un premier prix en poche.

Après avoir joué durant quelques années dans différents théâtres et compagnies bruxelloises, Simon s’exile à Liège, puis dans le fond de l’Ardenne, sans doute pour fuir la ville, le brasier… et trouver le calme.

Pendant 15 ans, sa vie se divisera en deux parties entre le cinéma (assistant-réalisateur pour Bouli Lanners, Lucas Belvaux, Philippe Falardeau…) et l’organisation d’ateliers, destinés à des personnes considérées comme « en difficulté sociale », utilisant le cinéma de création collective comme vecteur d’insertion.

Et toujours, l’écriture. Constamment, compulsivement.

Des mots rythmés, taillés dans la roche pour être crachés dans le cœur des gens.

Bien que caché au fond de l’Ardenne belge, le hip-hop finira par le rattraper en 2012, lorsqu’il rejoindra le combo Rap-Jazz SPEAKEASY, big band rassemblant 7 jazzmen et 11 MC’s, et aujourd’hui malheureusement disparu.

En 2015, Simon sera lauréat du prix littéraire « Paroles Urbaines » de la Fédération Wallonie-Bruxelles, champion de Belgique et vice-champion d’Europe de slam.

Simon dirige aujourd’hui Lezarts Urbains, la plus ancienne structure de soutien au mouvement hip-hop en Belgique.

Trois secondes

Au début de la première seconde avant que la tôle ne gronde,
Que dans un long glissement vrombissant le monde ne fonde dans l’ombre, j’ai ouvert les yeux.
J’ai ouvert les yeux et la calandre du camion se jetait devant moi, aveuglante et énorme comme une falaise de baie de somme, un Cap blanc-nez se ruant sur moi, couleur grand blanc mangeur d’homme juste devant mes mains sur le volant.
Mon pied a commencé sa course vers le plancher et lentement, j’ai vu mes lunettes quitter l’arrête de mon nez est traverser l’habitacle comme en apesanteur…
je me suis dit… c’est comme ça ?
C’est comme ça que ça qu’ils finissent, mes 120 kg de viande ?
Mes humeurs intérieures entre carter et radiateur, NON MAIS QUELLE FIN DE MERDE, PUTAIN !
ça valait bien le coût d’arrêter de fumer !
ça valait bien le coût de flipper comme un malade à l’idée d’avoir 40 ans,
ça valait bien le coup les errements, les erreurs, les envies, les projets,
ça valait bien le coût les lendemains qui chantent, retaper la salle de bain pour ne pas la finir, ça valait bien le coût de se battre à coup d’avocats hors de prix contre ces enculés de l’électricité!
Ça valait bien le coup de bosser comme un malade pour aller s’endormir comme un con au volant!
Quand je pense que j’ai même pas bu…
J’aurais voulu des bitures par paquets,
d’la bombe de dancehall et des banquets
À 2h30 sur la E40, ce que mon avenir peut me manquer…
Au début de la 2ème seconde, tandis qu’autour de moi la tôle grondait
le monde explosait dans les pattes tandis que mon pare-brise éclatait, a l’instant précis où mes lunettes venaient s’y écraser
Je me suis dit « on dirait que c’est les lunettes qui ont pété le pare-brise, c’est marrant »…
Je me suis dit pourquoi, putain?
Pourquoi pas d’un bête cancer de con, de la prostate ou du colon, pourquoi j’ai passé autant de nuits à cultiver des salades sur mon GSM au lieu d’écrire ce grand roman révolutionnaire que je m’étais promis de donner au monde,
pourquoi j’ai jamais fait l’amour avec deux femmes à la fois,
pourquoi j’ai jamais été foutu de sortir un putain d’album?
Quelqu’un peut m’expliquer ce que je vais foutre avec mes 12 600 points carrefour
et comment j’ai fait mon compte pour avoir si peur de devenir vieux ??
Abruti !
Je veux devenir vieux, la putain d’sa mère !
Je prends tout ! Je prends le Parkinson, les couches culottes et l’Alzheimer
Je veux me baver dessus, sucer des bombons imaginaires,
Je veux devenir un poids pour tout le monde, qu’on sache plus ou me foutre et que mes arrières petits enfants se demandent quand est-ce que le vieux va bien pouvoir crever.
Au début de la troisième seconde,
Tandis qu’autour de moi le monde s’éteignait
tandis que le dossier brisé de mon siège à travers le volant me projetait
J’ai pensé à la mer, ma belle
à ton corps, au ciel
À la saveur de la crème sur tes coups d’soleil j’ai pensé… comme je t’aime, mon fils.
Là, dans le temps suspendu, dans le métal broyant , j’ai eu envie de ses bras,
de l’absolue tendresse de ses mains et de son souffle dans mon cou,
envie de le couvrir d’amour et de salive une dernière fois,
et tandis que le moteur traversait le tableau de bord en engloutissant mes jambes, j’ai eu envie de lui demander pardon.
Pardon.
Pardon de partir mon petit garçon.
Pardon de partir par distraction sans t’avoir donné les armes qu’il faut pour le combat qui s’annonce.
Car un jour tu devras te battre, mon beau.
Te battre pour toujours et jusqu’à ton dernier souffle contre les armées de la connerie, de nos peurs et de nos certitudes.
Combattre comme un lion pour rester libre et tendre dans ce monde pleins de camions.
Doute toujours. Aime toujours.
Crie au monde ces doutes et ces amours parce que le monde n’a besoin que de ça.
J’aurais voulu des bitures par paquets,
d’la bombe de dancehall et des banquets.
À 2h30 sur la A40, ce que mon avenir peut me manquer…