Un jour, un poème (6)

Jean D’Amérique (Haïti – France)

(c) Edouard Caupeil

Né en 1994, Jean D’Amérique est poète, dramaturge, rappeur et romancier. Son œuvre, publiée chez Cheyne, Théâtrales et Actes Sud, a été saluée entre autres par le Prix Montluc Résistance et Liberté, le Prix Apollinaire Découverte et le prix Heredia de l’Académie Française. Il a publié récemment son neuvième livre, Quelque pays parmi mes plaintes (Cheyne, 2023), et son premier album, Mélancolie Gang, odyssée poétique d’un être aux prises avec le silence et les ombres.

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Retour à la blessure

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Retour à la blessure

Un jour, il ne pleurait pas. Je viens de faire une faute de frappe, je voulais dire : un jour, il ne pleuvait pas. Le ciel était bleu, mais ce n’est pas ça qui m’intéressait. D’autres fleurs s’agitaient dans ma tête : je cherchais mes racines. Je cherchais mes racines, et je suis allée sous les bois. Non. J’ai confié mon corps au vent et il l’a amené sous les bois perdus de la mémoire. J’aurais pu tout simplement me pencher sur mon ventre et, par la grâce de mes ongles, creuser au-delà de la peau, sortir une à une mes entrailles pour leur demander des comptes. Mais trop timide mon âme, pour ce genre de tâche. Le vent a emporté mon corps : me voici pour un bain nu dans la forêt. Les arbres sont des couteaux. Entre mon écorce et la sève du passé, ils tranchent. Et me rapprochent de la nuit, où flotte un drapeau rouge : le sang. Le vent me lèche la chair. Surgit un rêve, ruisselant de lait noir. J’ignore ces ténèbres qui dévorent le poème.